| La barrière de la langue |
Forcément, quand on voyage dans un pays dont on ne
partage pas la langue, des problèmes linguistiques divers vont invariablement
se poser. On peut dire que le fait de regarder des séries américaines en VO
prépare plutôt bien à affronter les United States of America, en termes
d'oreille ou de vocabulaire. J'estime aussi ne pas avoir été trop mal formé
pendant ma scolarité. Mais la vraie barrière de la langue, dans mon cas, c'est moins ce que je ne sais pas que ce que je croyais savoir.
Un des premiers problèmes qui se pose est de comprendre
les contractions de phrases. Par exemple, vous voulez un happy meal au domac' du coin (on ne juge pas). La question récurrente dans les fast foods pourrait
être transcrite de la façon suivante : "foïrotgo ?". Bien sûr,
demandez à la personne de répéter, elle ne reformulera pas : "foïrotgo ? foïrotgo ? foïrotgo ?" 'ME NO UNDERSTAND YOU!'. Tu finis en gros
par abdiquer en distant 'ze first one pleaze' et tu apprends plus tard que la
question était : "sur place ou à emporter ?". Je vous l'accorde, tout
le monde ici ne parle pas en phrases nominales. Mais en général, les
américains mangent leurs mots, entre autres choses. Un peu comme si on
apprenait un nouvel anglais avec moins de syllabes par phrase. L'appétit pour
les syllabes dépend aussi grandement de la personne et de l'heure de la
journée. Typiquement, on ressent facilement cet appétit quand on croise son
colloc à 9a.m après qu'il a passé la majeure partie de sa nuit à se
marrer en regardant des vidéos probablement humoristiques et à jouer à un
certain jeu en ligne.
Alors à un moment, tu te dis que tu vas tenter de devenir un vrai ricain, et tu commences à syllabophager aléatoirement toutes tes phrases en parlant très
vite. À ce moment là tu fais au moins deux erreurs. La première c'est que
niveau grammaire et conjugaison, plus tu vas vite, plus ton réflexe est
d'utiliser des constructions françaises. Ce qui, en général, est plutôt mal. Et te vaut un 'what's that?' (lire "wozat ?"). La seconde, c'est qu'à moins d'avoir
eu des profs à la fois très bons et très pédagogues tout au long de ta
scolarité, ta probabilité de manger les bonnes syllabes est assez réduite.
L'anglais, contrairement au françois bien de chez nous, place beaucoup
d'importance dans l'emphase de certaines syllabes. 'Put the EMphasis on the right SYllable', ou, comme on dit pour rigoler entre gens de bonnes familles parce que quand même on parle pas américain comme des ploucs : 'Put the emPHAsis on the right syLLAble'. Lolilol quoi. Ça peut aussi servir à
différencier les mots desert et desert en anglais (désert et dessert) qui n'ont
pas la même prononciation, mais ça surtout conditionne complètement la
compréhension orale.
J'ai mis pas mal de temps à me rendre compte à la fois
que la syllabophagie était si subtile et que la plupart du temps j'exerçais cet
art à grand peine. C'est donc une longue reconstruction de ma prononciation qui
s'engage, parce que changer des années de mauvaises habitudes d'emphase se fait quand même difficilement, faut pas déconner, c'est un peu comme si on essayait de me muscler. Lolilol. Bien entendu, il convient aussi d'avoir une prononciation phonétique
pas trop mauvaise. Par exemple, j'ai découvert que je prononçais mal le mot
talk. En tout cas mal pour un américain. J'ai pleuré. Et j'ai découvert aussi que c'était pas si simple de différencier ball de bowl ou de bull.
L'emphase et la phonétique sont donc primordiales pour éviter les "wozat ?" de tes bros américains, yo. Surtout pour commander un hambeurglou.
Bon, je force le trait, quand même. À l'université, les
gens sont plutôt éduqués et ont très souvent un américain irréprochable et pas
trop mâché (faut dire que le coût des études a une légère tendance à favoriser
certaines catégories de population...). Là où il peut y avoir un soucis, c'est
avec les étudiants qui ne sont pas américains d'origine, les indiens ou les
chinois par exemple. Les accents indien et chinois sont plutôt galères à
comprendre. Encore plus quand il faut parler maths ou informatique. Mais bon,
encore une fois, on finit par s'habituer (sauf à la prononciation des lettres,
maintenant je demande aux chinois ou coréens d'écrire leur nom au lieu de me
l'épeler, de peur de les vexer).
La dernière difficulté qui attend le voyageur intrépide
est les soirées. Tout seul dans un pays étranger, il faut bien se socialiser un
minimum ! (Petit aparté subtilité de la langue française : se socialiser et se sociabiliser) Mais quand tu vas dans une soirée, que la musique est à
donf, que tu as éventuellement un peu bu, que tout le monde parle et crie à
tue-tête, que tu essaies de retenir qui s'appelle Jeff, Bob ou Veronichka, et
qu'un mec essaye de t'expliquer les règles de l'art à la fois subtil et
ancestral du beer pong, il y a un moment où tu as envie d'abdiquer.
Il faudrait que je lui réponde un truc quand même. Nous,
les français, on a une réputation de perdants (héritée de la Seconde Guerre
Mondiale), ce n'est pas le moment d'abandonner !
Ce qui se passe dans ma tête à ce moment là : "Alors
attends, je veux dire ça, donc je veux utiliser une double négation avec triple
point, puis un passé simple doublé d'une Oxford comma en mot compte triple. Je
vais ensuite manger 5 voyelles et demi en faisant gaffe à mon emphase, ne pas
oublier que bull ne se prononce pas de la même façon que ball, et je pourrai
faire croire que je suis un vrai américain sans qu'on me demande 'oh, you come
from France?' et qu'on me raconte une
anecdote à propos d'un français qu'on connaît, qui s'appelle Jean et qui a fait quelque chose dont je n'ai complètement
rien à faire et que je ne connaîtrai jamais de toute façon. J'en étais où moi..."
Ce que je finis par dire : 'yeeeeaaaahhhh...'.
Note : cet article a été écrit à 100% dans le métro New Yorkais sur mon téléphone.
Note : cet article a été écrit à 100% dans le métro New Yorkais sur mon téléphone.
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